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Quand l'esprit guérit le corps


Quand l'esprit guérit le corps

Texte extrait du documentaire d'Arte
Introduction

À chaque blessure légère, une petite coupure par exemple, nous constatons la capacité d'auto-guérison de notre corps. Mais cette aptitude se manifeste-t-elle dans des cas plus sérieux ? La médecine occidentale actuelle, axée sur la haute technologie et les traitements chimiques, semble faire peu de cas des solutions aussi simples et naturelles qu'un dialogue avec le patient. Certains praticiens, persuadés de l'importance et de l'efficacité de la collaboration avec le "médecin intérieur" présent en chacun de nous, développent des méthodes d'accompagnement originales. Quelles que soient leurs différences théoriques ou pratiques, ces approches encouragent le patient à explorer sa propre voie de guérison. Au-delà du profit personnel que chacun peut en tirer, l'ensemble de la société a tout à y gagner, en maîtrisant mieux le coût du système d'assurance maladie.
Voix off (texte sans parenthèses)

Notre corps possède des forces régénératrices étonnantes qui l’aident à retrouver son équilibre lorsqu’il en a besoin. Cette fonction est assurée par le cerveau dont la fonction première est de nous maintenir en vie. Chacun d’entre nous dispose de ces capacités auto-réparatrices, d’une sorte de médecin intérieur.

Professeur Gerald Huther : « On le voit très bien quand on se blesse, par exemple quand on se coupe. Le médecin va juste s’assurer que la plaie cicatrise bien. Mais la cicatrisation se fait toute seule et c’est le corps qui s’en charge. Il est capable de tout guérir parce qu’apparemment, il sait comment les choses sont censées être. »

De nos jour, la médecine à un peu perdu de vue la capacité du corps humain à se soigner lui-même. Pour traiter la maladie ou soigner un organe atteint, on s’appuie avant tout sur les médicaments et la technologie. L’homme est parfois réduit à son symptôme ou à l’organe malade. On oublie qu’il est un tout, composé d’un corps mais aussi d’un esprit. Cependant, de plus en plus de médecins s’intéressent à nouveau aux capacités régénératrices de l’organisme et veulent aider les patients à contribuer à leur propre guérison.
Il y a quelques temps encore, Franck Gunter était incapable de nager. Une arthrose douloureuse lui paralysait les genoux et son état de stress constant lui valait des douleurs dans le dos et des maux de tête. Pour finir, un « burn-out » avait rendu ce père de famille pratiquement inapte au travail.
Franck Gunter : « Je n’avais pourtant pas fait de travaux physiques ni forcé sur mon genoux, mais je me suis retrouvé du jour au lendemain avec de très fortes douleurs. A tel point que le soir, je ne pouvais même plus monter dormir à l’étage; je restais en bas. J’étais sous pression au travail. A un moment donné, je me suis effondré. Plus rien ne fonctionnait. Ma circulation était désastreuse, ma tension chutait de 18 à 14, puis à 12 ou à 8 en quelques secondes. J’avais des vertiges et des crises d’angoisse qui me faisait vomir. Je ressassais des pensées à l’infinie et ça n’allait pas du tout. Je me sentais fini, je voulais que ça cesse ! C’est tout ce qui comptait."
Franck Gunter consulte de nombreux médecins. Pommades, massages, injections et médicaments, rien n’y fait. Il faut traiter le problème à la racine. C’est le service de naturopathie et de médecine intégrative de la clinique de Essen (?) qui va lui apporter la solution. Beaucoup de ces patients sont dans une situation comparable, ils souffrent de maladies chroniques : rhumatisme, douleurs, asthmes ou pathologie intestinale, et la médecine conventionnelle n’a plus de solutions à proposer.

Professeur Gustav Dobos : « La médecine conventionnelle est devenue extrêmement spécialisée. Il y a des spécialistes du genou, du dos, de la tête de l’estomac ou encore du cœur. On consulte de moins en moins de médecins généralistes qui considèrent pourtant le patient dans sa globalité, en tenant compte de son esprit et de son état psychique. Or, quand les patients souffrent de pathologies chroniques, le problème se limite rarement à un seul organe. En général, c’est la personne toute entière qui est atteinte. Bien souvent, il ne suffit pas de soigner cet organe, il faut envisager le patient dans sa globalité et s’occuper de l’interaction entre les différents éléments de l’organisme. »
A Essen, le corps et l’esprit sont traités comme un tout indivisible. L’accent est mis non pas sur la maladie mais sur le patient avec ses ressources intérieures. Le concept est encore unique en Europe, la médecine classique est complétée ici par des traitements de naturopathie et des méthodes inspirées de ce qu’on appelle la médecine corps esprit.

Professeur Gustav Dobos : « La médecine corps esprit s’appuie sur les aptitudes du cerveau ou de l’esprit à favoriser l’auto-régénération de l’organisme. Concrètement, cela veut dire que l’on va associer des traitements axés à la fois sur le corps et sur l’esprit. D’une part, des méthodes thérapeutiques physiques tels que les massages, le gouacha ou l’acuponcture ; et d’autre part, des techniques qui s’adressent à l’esprit et au psychisme comme la méditation, la thérapie par le dialogue ou encore les séances de restructuration commutative qui permettent de mieux gérer les pensées négatives. »
Le stress est l’un des pires ennemis de nos capacités auto-réparatrices. Celles-ci sont beaucoup plus efficaces lorsque nous sommes détendus, optimistes et dans un état d’esprit positif. La médecine corps esprit est issue des recherches sur le stress et tient compte de ce facteur.
Séance de relaxation, clinique de Essen. Cinq personnes sont allongées sur un tapis de sol, un petit édredon sous la nuque et une couverture sur le corps. L’instructeur est assis en tailleur sur un coussin de méditation : « On fait un balayage corporel. C’est un exercice qui vous aidera à vous détendre. On va passer en revue l’ensemble du corps... »

La réduction du stress basée sur la pleine conscience est une forme de méditation. L’objectif : se concentrer pleinement sur l’instant présent pour permettre à l’esprit de retrouver son influence sur le corps. De nombreuses études ont prouvé que la méditation avait un effet positif sur la santé car elle réduit la tension artérielle et ralentie la respiration ainsi que le rythme cardiaque. Elle aide ainsi à lutter contre la dépression, le stress et les angoisses.

Franck Gunter : « Ce qui est super, c’est que j’ai pu réveiller des forces qui étaient en moi depuis toujours. J’ai essayé de me souvenir comment je faisais avant pour gérer tout ça. Avant de connaitre ces exercices de respiration comme le Chi-gong ou le Touina (?). Je me suis dit : c’est vrai que pendant des années j’ai fait de la natation à haut niveau, qu’est-ce que je faisais pour me concentrer ?... Reprendre conscience de ses forces et être capable à nouveau de les exploiter à travers la respiration et la méditation, c’est ce qui m’a le plus parlé. Ça m’a aidé à gérer la douleur et l’anxiété. C’est une sorte de trait d’union entre mon corps et mon esprit. »
La plupart du temps quand nous partons à la recherche de nos ressources intérieures, il est déjà trop tard, elles sont épuisées. A Essen, on explique au patient comment les raviver. Cela passe par une alimentation réfléchie et des exercices physiques, mais aussi par des stratégies pour venir à bout du stress que nous provoquons nous-même. La principale méthode utilisée est la restructuration cognitive.
Un praticien de la clinique de Essen expose sa théorie au tableau devant une dizaine de patients. « Je vais vous présenter une technique, la méthode ABC. Le « A » désigne un évènement déclencheur. Un exemple : je suis au volant, pressée. La voiture, c’est l’endroit idéal pour s’entraîner ! Et la voiture devant la mienne va si lentement qu’elle me fait louper un feu vert… »

Événement déclencheur, évaluation et conséquence. Autrement dit, la façon dont nous évaluons une situation détermine notre réaction : sereine ou au contraire irritée et stressé. Le stress n’est pas nécessairement négatif en lui-même, il est nécessaire, dans une certaine mesure, car il nous rend plus efficace. Mais ces patients apprennent à éviter les pensées nuisibles et le stress inutile.

La médecine corps esprit offre avant tout des stratégies pour s’aider soi-même. Aux États-Unis, elle fait partie depuis longtemps du système de santé car elle contribue à atténuer les effets des maladies et à rester en bonne santé ; mais en Allemagne, on lui accorde encore trop peu d’attention.
Les différentes méthodes de la médecine corps esprit n’ont pas les mêmes effets sur tout le monde. A chacun de trouver ce qui lui convient. Grâce à ce savant mélange de techniques, Franck Gunter a appris à mieux gérer ses douleurs et son stress. Les procédés issus de la naturopathie peuvent aussi renforcer les mécanismes d’auto-régénération de l’organisme, comme le gouacha, une forme de massage venue de Chine. En raclant le système nerveux de façon ciblée et répétée, on provoque des réactions dans le corps.

A un moment donné, Franck Gunter a senti comme un déclic : « Ma femme est venue me rendre visite au bout de 5 ou 6 jours. Pendant qu’on discutait je me disais, elle me regarde bizarrement, qu’est-ce qu’elle a ? Qu’est-ce qu’elle veut ? Et là, elle me dit : c’est incroyable, tu as l’air tellement apaisé, et tes yeux ont changé du tout au tout - Comment ça mes yeux ? - Oui, il ressemble à ce qu’ils étaient avant, tu es redevenu toi-même ! Et c’est vrai, je me sens plus en phase avec moi-même. Je suis sur la bonne voie. Bien sur mon genoux est mal en point et j’aurai toujours des douleurs périodiques, mais ça ne me fais plus peur, je sais comment les gérer et j’espère arriver à transposer ces techniques dans mon quotidien. »
Même si nous pouvons contribuer nous-même à notre rétablissement, nous n’avons pas toutes les cartes en main et nous ne sommes pas seuls responsables de notre santé ou de nos maladies.
Professeur Gerald Huther, neurobiologiste : « La plupart des gens naissent en bonne santé. D’un point de vue neurobiologique, on a même un potentiel incroyable à la naissance. On pourrait en faire des choses ! Mais cette curiosité ou cette soif de découverte qu’on a quand on est petit, disparaissent quand on prend de l’âge. Au départ, tout ce passe bien, le corps et le cerveau savent ce qu’il faut faire pour nous maintenir en bonne santé. C’est-à-dire que le cerveau remplit parfaitement la mission qui est la sienne et pour laquelle il est structuré, à savoir : veiller sur notre corps. On peut comparer ça à la construction d’une maison. A l’origine, les fondations sont parfaitement droites et bien posées. C’est la base saine que nous avons en nous. Et puis on commence à s’adapter à notre environnement, aux exigences de notre famille, de l’école, de notre culture, et de l’époque dans laquelle on vit. Plus le temps passe, plus la maison est de guingois. Elle finit par être complètement bancale. Elle se fragilise et s’effondre. Dans le corps, c’est à ce moment-là qu’un organe lâche. Le dos, la hanche, le genou, l’estomac ou le cœur. Ils ne supportent plus ce déséquilibre, cette maison qui penche. C’est ce point faible qui provoque la maladie. Là, il y a deux possibilités : soit on essaie de consolider la maison en la réparant pour qu’elle continue à tenir debout ; soit, et c’est la solution que je privilégie, on essaie de revenir en arrière et d’aider le corps à retrouver ses capacités auto-réparatrices d’origine. »
L’université de Harvard, près de Boston, est le berceau de la médecine corps esprit. On y étudie la réduction du stress, basé sur la pleine conscience. En Europe, cette méthode rencontre un succès croissant. Sarah Lazar, chercheuse en neuroscience a été l’un des premières à étudier la méditation aux États-Unis. Elle travaille sur une question centrale : que se passe-t-il dans le cerveau des personnes qui pratiquent la méditation ?
Sara Lazar : « Depuis 10 ans, on s’intéresse beaucoup aux effets de la méditation sur l’activité et la structure du cerveau. On s’est aperçu qu’une pratique régulière de la méditation provoque des changements dans les connections à l’intérieur du cerveau et dans la communication intercellulaires, et ces effets s’accumulent avec le temps : plus on médite, plus le cerveau se modifie..

Cours de méditation. L'animatrice fait face à un groupe de personnes en posture yogique, yeux clos : « Ne nous laissons pas submerger par ces émotions. Contentons-nous de les observer… »
Des chercheurs avaient déjà constatés que des moines Bouddhistes qui méditent quotidiennement, présentaient un niveau d’activité plus élevé dans certaines zones du cerveau. Brita Utzel (chercheuse en neuroscience et animatrice du cours de méditation) s’est demandée quel effet pouvait avoir une pratique régulière de la méditation sur des personnes stressées et en bonne santé mais qui n’avaient pas d’expérience préalable de la méditation. Durant 8 semaines, 16 volontaires ont suivi des cours de méditation et ont fait des exercices quotidiens chez eux.
Avant et après cette série de cours, les participants ont remplis des questionnaires sur leur degré de stress. Au bout de 8 semaines, ils se disent nettement moins stressés. Mais cela se reflète-t-il sur leur cerveau ? L’imagerie par résonance magnétique ou IRM révèle des résultats étonnants : les chercheuses ont montré qu’en 8 semaines, la pratique de la méditation avait modifié la structure de certaines zones du cerveau chez les volontaires.

Brita Utzel : « On a fait des examens avant et après la formation à la méditation et on s’est rendu compte que l’épaisseur de la matière grise avait augmentée dans certaines zones du cerveau, comme l’hippocampe. C’est intéressant, parce que l’hippocampe est sensible au stress et que les neurones de l’hippocampe peuvent mourir quand le niveau de stress et le taux de Cortisol sont trop élevés. La plasticité du cerveau est vraiment fascinante. Les changements intervenus au court d’un stress sont donc réversibles et la matière grise semble se reconstituer. »
Le stress a visiblement été balayé hors du cerveau. Hors de la région chargée de la mémoire et de l’apprentissage, deux fonctions particulièrement sensibles au stress. Mais pour Brita Utzel, les bienfaits de la méditation vont plus loin : « Ce qui est passionnant, c’est que la méditation aide la personne à voir les choses différemment, à prendre du recul et à comprendre l’incidence de certains évènements sur sa santé. Cela permet par exemple de mieux prendre conscience de ses mouvements quand on fait du sport et donc de se sentir mieux. La méditation est en quelque sorte un outil pour prendre de la hauteur, pour avoir pleinement conscience de ce que l’on fait, ce que l’on vit et de ce qui nous arrive. Contrairement aux traitements médicamenteux, elle offre au sujet la possibilité de contribuer à son propre bien être. »

D’après les premiers résultats obtenus par Sara Lazar, la méditation pourrait aussi retarder le vieillissement du cerveau : « Nos travaux n’en sont qu’à leur début. Pour l’instant on a simplement identifié certains changements. Il faut mener d’autres études pour voir si la méditation freine vraiment le vieillissement et si tous les facteurs liés au vieillissement se trouvent ralentis, ou seulement certains d’entre eux »

Professeur Gerald Huther, neurobiologiste : « Chaque individu a des besoins différents pour rester en bonne santé et pour guérir. Mais gros modo, on peut dire qu’on a tous besoin de trois éléments : premièrement le sentiment qu’on peut faire quelque chose, qu’on est compétent et qu’on peut se débrouiller dans différentes situations de la vie. C’est la confiance en soi : j’ai confiance en ma capacité de faire quelque chose. Mais le plus souvent, ça ne suffit pas, on s’en aperçoit qu’en on tombe malade. Il faudrait alors avoir cette deuxième forme de confiance que beaucoup de gens perdent en grandissant : la certitude que, si je ne m’en sort pas tout seul, quelqu’un va venir m’aider à aller mieux. Se serait bien si on pouvait conserver ce sentiment. Et puis il y a une troisième forme de confiance, qui est vraiment propre à l’humain, et qui est plus difficile à décrire, elle est liée à la spiritualité et à la foi. Disons que c’est le sentiment qu’on fait partie de ce monde et que les choses vont s’arranger… »
Il y a quatre ans, la vie de Petra Hang a été bouleversée du jour au lendemain : «Je me suis dit : je ne veux pas mourir ! Parce que le cancer est toujours associé à la mort. »

A 47 ans, elle apprend qu’elle souffre d’un cancer du sein. Elle dirige alors une crèche dans la région de Cassel (?) et termine une formation en gestion de la qualité.

La première fois qu’on met les pieds dans la salle d’attente, on a un choc. Il y a des patients qui portent des perruques, des femmes sont très maigres, puis on voit celles qui ont ces cernes noires caractéristiques que provoque la chimio, et celles qui commencent à perdre leurs cheveux. Pendant qu’on attend son diagnostic, on se dit : bientôt je serais l’une d’elle ! »
Son sein gauche a dû être amputé puis reconstruit à partir de tissus prélevés au niveau des muscles du dos. Petra Hang a été traité par chimio et radio thérapie. Un de ses amis l’a prise en photo peu après son opération.
Petra Hang : « C’est la vie. Soit on fait front, soit on se laisse gagner par le doute. Moi j’ai choisi de me battre et observer ensuite en quoi j’avais changé... Ça c’est ma photo préféré (photo noir et blanc de l’intéressée le visage cachée derrière un arbre, buste nu marqué par les traits au feutre du chirurgien). Elle exprime tout ! Voilà les tracés de l’opération et ce tronc est ce qui barrait mon esprit avant la maladie. »
Ce cancer survient après une série de coups durs. Petra Hang a perdu son père très tôt, puis vu mourir son fils de 13 ans quelques années avant de tomber elle-même malade. Son mari a aussi eu un grave accident. Le cancer a été l’évènement déclencheur qui l’a amené à s’ouvrir pleinement à la vie. Depuis 4 ans, ces analyses sont bonnes, mais elle estime qu’il est trop tôt pour se considérer comme guérie : « Les médecins ont joué un grand rôle dans le traitement. Mais j’ai surtout compris que je ne guérirais pas si je n’avais pas la volonté de guérir. Parmi les femmes qui suivaient la chimio avec moi, certaines avaient une vie pas folichonne. Elles n’avaient pas envie de s’en sortir par ce qu’elles n’en voyaient pas l’intérêt. Elles sont décédées depuis !... Personnellement, ça m’a permis de prendre conscience de la valeur de la vie. Il faut prendre cette décision, et je crois que, quand on l’a prise, on commence à activer ses forces régénératrices. Personnellement, j’ai laissé derrière moi beaucoup de choses du passé et je me suis rapproché de ce qui était ma véritable identité à mes yeux. »

Petra Hang n’a pas changé de vie du tout au tout. Elle a continué à travailler, mais à un poste moins accaparent de coordinatrice. Elle a appris à se ménager d’avantage et à s’occuper d’elle-même, pas seulement des autres. Le tout en reconsidérant aussi les évènements pénibles du passé.

Christa Diegelmann l’a beaucoup soutenu. Cette psychothérapeute de Cassel, spécialisée dans le suivi des patients cancéreux, a mis au point sa propre méthode baptisée TRUST. Elle s’appuie sur les découvertes sur la recherche sur le cerveau, de la psycho-traumatologie et de la psychologie positive. L’objectif est de permettre aux patients de mieux contrôler leur niveau de stress. Les études montrent que les sentiments de détresse et de désespérance peuvent peser lourd dans l’évolution d’une maladie.

Christa Diegelmann : « Quand un disque est fêlé ou rayé, la tête de lecture reste coincée dans le sillon. C’est un peu ce qui se passe quand un patient apprend qu’il a un cancer. Son cerveau est dans un état d’extrême tension, il ne peut plus traiter les stimuli extérieurs. L’utilité d’une thérapie, c’est qu’on peut remettre la tête de lecture dans le sillon suivant et relancer la musique. C’est le principe de base de mon travail. Je mise sur le fait que chaque patient est doté de ressources intérieures. Que chacun est en mesure de renouer avec ses ressources et de les développer pour s’adapter, au bon sens du terme, à sa nouvelle vie ; c’est-à-dire pour s’en sortir. »
Petra Hang a ainsi appris à se concentrer sur ses propres forces intérieures. Des exercices de simulation l’aident à se concentrer mentalement dans des situations agréables et des souvenirs positifs, même dans les moments de grande détresse. Cela peut avoir des effets tant sur le psychisme que sur le corps.
La patiente, yeux clos, est assise dans un fauteuil relaxant. La psychothérapeute l'accompagne par la parole : « … Vous revenez progressivement de ce voyage intérieur… »

Christa Diegelmann : « l’activité du cerveau fait aussi réagir le corps. Quand on demande au patient de se représenter en train de mordre dans un beau citron jaune, on observe tout de suite une réaction de salivation. On voit bien comment le corps réagit au pouvoir de l’imagination. »
Les séances proposées par Christa Diegelmann contribuent à lever les blocages du cerveau liés au stress et à l’angoisse. La voie est alors libre pour réactiver ces fameuses capacités régénératrices. Souvent les exercices sont très simples comme l’alphabet du bien-être : - Vous allez choisir une lettre, n’importe quelle lettre de l’alphabet. - Maintenant, je vais vous demander de réfléchir à des mots qui commencent par « B » et évoquent le bien-être. - Bonheur, Brugnon, Ballon….

Christa Diegelmann : « Ça a l’air tout simple. On n’a pas besoin de suivre une formation. Ça ne coute rien. Tout le monde peut essayer au quotidien, choisir une lettre de l’alphabet et y associer des mots qui évoquent le bien-être. Mais si je conseille aux patients de faire ça quand ils se sentent anxieux ou quand ils n’arrivent pas à dormir, il faut qu’ils comprennent pourquoi ils le font. Il ne s’agit surtout de leur dire : « Soyez positifs ! » ou : « Ce n’est pas si grave ! » Au contraire, parce que c’est grave, il est important qu’ils apprennent à rendre leur cerveau réceptif afin qu’ils deviennent performants et capables d’agir. »
Sur la question des rapports entre le mental et les processus auto-régénérateurs, la recherche sur l’effet placebo apporte des éléments très éclairants. Ulrike Bingel étudie depuis des années l’action de ces faux médicaments qui n’ont pas d’effets pharmacologiques et sont composés uniquement de sérum physiologique, de sucre ou d’amidon.

Dr Ulrike Bingel : « Dans un placebo, ce n’est pas le contenu du comprimé proprement dit qui agit, c’est la croyance qu’on a dans ses effets. Ça fait appel à plusieurs facteurs psychologiques : la croyance, l’espoir, mais aussi les expériences passées avec les médicaments. Si j’ai une attente positive par rapport aux médicaments, si je pense qu’une crème va calmer ma douleur ou qu’un cachet va faire passer mes hauts le cœur, l’effet placébo intervient. »

L’effet placebo est particulièrement intéressant à étudier dans le cas de la douleur. Une expérience novatrice a été menée à l’hôpital universitaire de Hambourg. La substance testée n’est qu’un placebo, mais elle a été présentée au volontaire comme une pommade antidouleur très efficace. Dans le rectangle rouge (tracé sur l’intérieur de l’avant-bras du bénévole), on étale une pommade de contrôle ; dans le vert, la prétendue pommade antidouleur. Au bout de 15 mn, un stimulus douloureux est appliqué aux deux endroits afin que les participants évaluent son intensité. Résultat, à l’emplacement de la crème placébo, le stimulus est jugé moins douloureux.

Pour étudier ce qui se passe à l’intérieur du cerveau, l’expérience a été renouvelée dans une unité d’IRM.

Dr Ulrike Bingel : « Le plus frappant c’est que les participants ont ressentis une douleur moins importante à l’endroit où on avait appliqué la pommade placebo. Nous voulions aussi savoir si cela se retrouve dans les structures du cerveau qui gère la douleur, et c’est effectivement le cas. On le voit sur ce cerveau vu de dessus, du côté droit. Vous avez ici le cortex insulaire et le cortex somato-sensoriel secondaire. Ce sont des zones qui réagissent habituellement en cas de douleur. Or, elles présentent une activité très faible quand on applique le stimulus là ou est appliquée la pommade placebo. Nos recherches montrent que cette perception d’une douleur moindre n’est pas le fruit de l’imagination. Elle se reflète dans le cerveau. Quand j’ai l’impression d’avoir moins mal, l’hypothalamus, le cortex insulaire et d’autres zones affichent une activité moins importante. »
Les chercheurs ont pu identifier une zone chargée d’inhiber la douleur, et qui montre, elle, une plus forte activité.

Dr Ulrike Bingel : « Les derniers résultats de la recherche sur le placébo montrent un lien avec les mécanismes régénérateurs de l’organisme. L’analgésie par placébo fonctionne de la façon suivante : j’active mes fonctions d’inhibition de la douleur pour moins souffrir. Cet effet se retrouve ailleurs dans le corps : une personne souffrant de la maladie de Parkinson qui s’attend à une amélioration de ces fonctions motrices va, par elle-même, solliciter d’avantage son système moteur. Dans le cas du système immunitaire, on a même constaté qu’on pouvait modifier les fonctions immuno-modulatrices en les éduquant. Cela montre que nous pouvons exploiter ce potentiel nous-même. »
Grâce à une autre expérience, Ulrike Bingel a prouvé que l’effet placebo pouvait aussi apporter un plus dans le cas d’un vrai médicament. Les volontaires reçoivent cette fois un analgésique en perfusion. Selon ce que leur dit l’expérimentatrice, l’effet est variable. Si elle leur annonce que leur douleur va diminuer, beaucoup de participant perçoivent effectivement un soulagement. Ceux qui n’ont pas été prévenu, en revanche, n’en retire pas les mêmes bienfaits. Pourtant, tous ont reçu le même analgésique puissant.

Dr Ulrike Bingel : « Au début, les volontaires signalent un douleur moyenne à forte. Sur une échelle de 0 à 100, ils indiquent 70. Ce qui est déjà assez élevé. Quand le participant ne s’attend pas à ce qu’on lui injecte un analgésique, les opiacés ont un effet sur la douleur, mais limité. C’est normal puisque ce type de médicament fonctionne aussi sur des patients inconscients. Mais l’effet analgésique est pratiquement deux fois plus puissant quand le patient sait ce qu’on lui injecte. Il y a autre chose, et c’est tout aussi important du point de vu clinique : chez les volontaires qui ignorent qu’on leur injecte le médicament, et qui ont peut-être des attente thérapeutiques négatives, ou pensent qu’on ne leur donnera rien, l’effet disparait presque complétement. La douleur remonte au niveau de départ alors que le participant a reçu un très fort analgésique. On voit que les attentes de chacun jouent un rôle très important quand on administre un médicament, au moins aussi important qu’avec des placébos. »

L’idéal est donc d’associer les médicaments et autres traitements avec des attentes thérapeutiques positives. Cela permet de limiter les effets secondaires indésirables des substances, voire de réduire les doses médicamenteuses. Le médecin joue lui aussi un rôle décisif : s’il est capable d’établir une relation de confiance avec le patient, il peut faciliter la guérison ; si, au contraire, il véhicule des sentiments ou des attentes négatives, cela sera nuisible au processus ou même au patient car c’est alors qu’intervient le jumeau maléfique de l’effet placébo : l’effet nocebo. La confiance et les attentes du patient sont donc déterminantes, et cela passe non seulement par le médecin, mais aussi par les notices de médicaments ou les informations diffusées par les médias.

Dr Ulrike Bingel : « Honnêtement, on connait ces effets depuis plusieurs millénaires. Hippocrate expliquait déjà que certaines herbes ne faisaient effet qu’en association avec certaines paroles. Ce sont des connaissances très anciennes et beaucoup de médecins les utilisent depuis longtemps de façon intuitive, sans forcément les exprimer sous cette forme. Mais moi, j’aimerai qu’elles soient appliquées par tous de façon beaucoup plus systématique et pas seulement par quelques médecins. Il faudrait que ce soit mieux pris en compte dans l’ensemble du système de santé. »
A l’hôpital universitaire de Heidelberg, la formation dispensée reprend ces principes. Depuis 2001, les étudiants en médecine suivent des cours en communication et interaction dirigés par Jana Junger.
Les séances filmées visent à combler les lacunes dans la formation des futurs médecins car la conduite des entretiens avec des patients est souvent leur point faible. Ce module fait partie intégrante du programme d’étude et compte pour les examens. De plus en plus d’universités suivent cet exemple. Les étudiants apprennent à écouter les patients et à mener les entretiens qui jalonneront leur quotidien de médecin : donner un conseil, annoncer un diagnostic ou une mauvaise nouvelle. Les patients, interprétés par des comédiens font part de leurs doléances, de leurs peurs et de leurs préoccupations. Si le médecin ne réussit pas à établir un contact rassurant, toutes ces connaissances ne lui serviront à rien.
Dr Jana Junger : « C’est une question intéressante. Est-ce qu’il existe des médecins très calé du genre Dr House avec un côté sympathique mais qui ne savent pas communiquer avec leurs patients. Pour nous, ce genre de personne ne peut pas être un bon médecin ; il ne devrait même pas choisir ce métier. C’est pourquoi nous mettons l’accent sur les aptitudes à communiquer. Nous pensons qu’une personne incapable de communiquer ne peut pas devenir médecin. C’est tellement central pour aider les patients que ça ne peut pas passer à la trappe. C’est aussi incontournable que les connaissances et les compétences purement médicales. »
Les étudiants découvrent ainsi leur propre influence sur le rétablissement de leurs futurs patients. Parfois, se sont de petits détails qui font la différence. Etre à l’écoute, poser des questions montrant l’intérêt du médecin pour le patient, trouver les mots qui rassurent. Si la confiance s’instaure, la guérison peut commencer.

En juillet 2010, l’ordre des médecins allemand a reconnu officiellement le rôle de l’effet placebo et recommandé qu’il soit pris en compte par les médecins. D’autres recherches montrent aussi qu’il est possible d’établir jusqu’à 80% du diagnostic dès l’anamnèse, c’est-à-dire lorsque le patient fournit des renseignements sur ses antécédents. Il serait donc possible de se passer de certains outils de diagnostics plus couteux ou de les utiliser de façon ciblé.

Dr Jana Junge (à l’attention d’un groupe de futurs médecins) : « L’idéal quand on voit un patient pour la première fois, c’est de prendre en compte les aspects psychologiques et sociaux dès l’anamnèse. Autrement, on risque de se concentrer sur les problèmes physiologiques et de se demander après coup ce qu’il faut faire pour traiter le psychisme. Si vous essayez dès le départ de comprendre les liens entre ces deux aspects, vous pourrez mieux les traiter. Dans ce premier entretien, il est amplement suffisant d’annoncer le diagnostic. Dire : Vous présentez des troubles somatoformes mais on ne sait pas encore très bien d’où ils viennent. Notre objectif, c’est de comprendre ensemble ce qui vous arrive, et ensuite demander : Qu’est-ce que vous en pensez, vous ? »
Dr Jana Junger : « Ce n’est pas anodin de consulter un médecin. On y va en général quand on traverse une crise. A moins que ce ne soit pour un bilan de santé préventif. Mais, là aussi, la communication est importante. Donc, soit une crise psychologique, soit un gros problème physiologique. En un mot, on consulte quand on est en situation de détresse. Le médecin joue alors un rôle central de guide pour traverser cette crise. Il doit poser les jalons pour que le patient puisse activer les forces qui sommeillent en lui. Celui-ci pourra alors guérir à la fois avec l’aide extérieur du médecin et en puisant dans ses ressources intérieures et préserver sa santé aussi longtemps que possible. »
Mais pour obtenir ces résultats, il faut du temps, or les impératifs de réduction des coûts empêchent souvent le corps médical de se consacrer pleinement au patient. De plus, tous les praticiens ne connaissent pas l’importance de ce fameux "médecin intérieur". Si les mécanismes régénérateurs des patients étaient mieux exploités, il serait pourtant possible de réaliser des économies considérables à long terme.
Professeur Gerald Huther : « Tous les établissements médicaux, les hôpitaux par exemple devrait prendre en compte ces connaissances qui nous viennent de la biologie, de la physiologie et de la neurobiologie. Et ils devraient tout mettre en œuvre pour que les patients soient en mesure de réactiver leurs capacités d’auto-régénération. Certains hôpitaux le font avec de très bons résultats, et ils ne coûtent pas forcément plus chers. Il faut veiller à entretenir le bon esprit d’un établissement de soin sans quoi, il finit par se perdre. C’est arrivé dans pas mal d’hôpitaux. Ce bon esprit a disparu et a été remplacé par un autre esprit que tout le monde connait : l’esprit gestionnaire. Et quand il s’installe, c’est pour de bon. Il se met à gouverner tous les gens qui travaillent dans cet hôpital, du chef de service à la femme de ménage, et, pour finir, ce sont les patients qui sont à leur tour gérés. Cette esprit gestionnaire devient la seule force à laquelle il faut obéir et qui crée des obligations : combien de temps doit durer une consultation ? Comment faut-il nettoyer les chambres ? Quels sont les missions d’un médecin chef ? Etc. Mais il n’y a plus de dialogue dans tout ça ! D’un point de vu neurobiologique, physiologique et psychosomatique, on sait que ça ne peut rien donner de bon. Les coûts de gestion augmentent, pourtant on guérit de moins en moins de patients. Voilà le système de santé que nous avons actuellement en Allemagne. Il coute extrêmement cher et les patients ne sont pas en meilleur santé que dans certains pays du tiers monde ou le budget consacré à la santé est 10 fois moins élevé ! »
Dans les années 80, l’oncologue et hématologue, Gerd Nagel a eu un cancer qui a radicalement changé la conception de son métier.

Gerd Nagel : « J’ai établi moi-même mon diagnostic. J’avais remarqué des points rouges sur mes pieds et mes jambes. Pour un hématologue, ce n’est pas un bon signe. J’ai fait des examens sanguins, étudié tout ça au microscope, et constaté qu’il y avait des cellules malignes. »
Ancien président de la ligue allemande contre le cancer et directeur d’un hôpital universitaire, Gerd Nagel est à l’époque au sommet de sa carrière. La forme de leucémie dont il est atteint passe pour pratiquement incurable. Il décide pourtant de venir à bout de la maladie. Il sait que la chimiothérapie est indispensable, mais ne veut pas s’en contenter.

Gerd Nagel : « Le grand défi pour moi, c’est de savoir comment je pouvais moi-même contribuer à vaincre mon cancer. Quelles ressources j’avais en moi et quel genre de "médecin intérieur" je pouvais activer moi-même. Là, j’ai eu un grand choc. Pas tellement à cause du diagnostic, mais plutôt à cause d’une prise de conscience : je ne savais plus qui j’étais. Pendant toute ma carrière, dans tout ce que j’avais construit, dans ce milieu médical ou la concurrence est si rude, je m’étais perdu : moi, mes sentiments et mon identité. Ça a été un moment très difficile. Je me suis dit : je ne peux pas commencer ce traitement et me battre contre la maladie tant que je n’ai pas retrouvé mes propres forces. Il fallait d’abord que je retrouve ce qui avait fait mon identité d’autrefois. Pour cela, je me suis retranché dans la solitude, loin de tous : je savourais le contact du bois, des branches noueuses ; je pataugeais dans l’eau ; je faisais de l’exercice ; je courais pied nu dans la mousse, sans parler, sans réfléchir ; je me concentrais sur mes sensations. Et c’est allé vite, j’ai été très surpris : au bout de 10 jours, j’étais presque redevenu moi-même. »

Gerd Nagel a suivi une chimiothérapie. Et il a réussi à vaincre le cancer. Cette expérience a changé sa vision des choses.

Gerd Nagel : « Nous devons apprendre à mieux cerner les forces des patients ; les aider à renforcer leurs ressources, et à tenir compte de ces ressources dans le traitement médical. Je me suis rendu compte à cet époque que nous avions des lacunes énormes en la matière. »

En 1993, Gerd Nagel a ouvert sa propre clinique de biologie tumorale à Fribourg. Il a pu mettre en application sa conception d’une médecine holistique centrée sur les patients.

Gerd Nagel : « Je pense que les capacités de guérisons de chacun offrent un potentiel énorme pour surmonter les maladies, y compris dans le cas d’un cancer. Et nous sous-estimons beaucoup ces capacités. Le plus difficile, c’est de cerner le potentiel du patient qui est en face de moi, parce qu’on ne peut pas généraliser. Dans la médecine conventionnelle, on apprend des généralités et des schémas bien définis, mais lorsqu’il s’agit d’incorporer les forces propres à un patient dans le processus de guérison, il faut commencer par les identifier, et c’est là toute la difficulté : découvrir le potentiel de tel individu. »

Entretien de Gerd Nagel avec un patient. « Vous citez la patience comme l’une de vos forces. Vous savez aussi que vous êtes dans un processus constructif, mais vous faites votre possible pour continuer à vivre normalement. Et c’est aussi une force.
- Oui, c’est très important pour moi de me raccrocher à cette normalité. - Et la normalité, c’est peut-être affronter la vie telle qu’elle est. - Oui, s’accommoder de la situation et être capable de l’accepter… »
A 52 ans, Doris Zinguer est atteinte d’un cancer des poumons. Elle n’a jamais fumé. Elle devra probablement subir des séances de chimiothérapie jusqu’à la fin de ses jours. Gerd Nagel l’a aidé à prendre conscience de ses ressources intérieures et à adopter un état d’esprit propice à la guérison. Pour se faire, la clé réside dans la focalisation, un principe issu de la médecine mentale qui consiste à se concentrer sur un objectif précis. Toutefois, Gerd Nagel ne donne pas de faux espoirs. Selon lui, il ne faut jamais viser la guérison absolue car celle-ci est incertaine. Au contraire, il faut comprendre la guérison comme un processus ouvert afin de mieux gérer la maladie et de remplacer la peur par la confiance.
Apprendre à vivre avec la maladie, prendre conscience de ses forces, et s’en servir pour guérir, c’est l’objectif des séances que proposent Gerd Nagel, aujourd’hui à la retraite. Il s’agit de convaincre les patients qu’ils sont compétents. C’est une approche inédite. Appliqué en début de traitement, elle aide les malades à trouver leur propre façon d’affronter leur pathologie. Gerd Nagel se voit comme un éclaireur qui aide les patients à découvrir leurs propres ressources.
Gerd Nagel illustre sa méthode à l'aide d'un croquis à Doris Zinguer : « Le cerveau pilote le processus de guérison, mais aussi les défenses, les hormones et le stress. Tout cela est contrôlé par le cerveau, et on peut pratiquement lui donner l’ordre de nous aider à guérir. C’est comme si on se fixait une destination, par exemple Hawaï. C’est notre objectif, la guérison, il ne faut pas l’oublier. L’atteindre c’est une autre histoire. Mais le but, c’est de guérir. Et il faut vous dire que vous êtes en route vers la guérison. Vous êtes à bord d’un avion et le pilote automatique est réglé sur la destination guérison. Vous êtes en chemin, embarqué dans ce processus de guérison. Cette image de l’avion de la guérison, il faut toujours l’avoir en tête. »
Gerd Nagel : « Quand on travaille avec des patients et qu’on leur dit qu’ils sont eux-mêmes les agents de leur guérison, ils sont tout à fait réceptifs. Mais parfois ça ne suffit pas, la maladie réapparait ou la guérison ne se passe pas comme on l’espérait et là, les patients risquent vraiment de penser que c’est de leur faute. Il est donc important de les mettre en garde très tôt. Leurs forces régénératrices représentent un potentiel, une chance qu’il faut exploiter, mais pas une garantie. Ce n’est pas une garantie qu’ils vont arriver à leur fin. »
Que puis-je faire moi-même ? Comment trouver ma voie dans la maladie ? Comment continuer à mener une vie normale ? Autant de questions que se posent les patients compétents. Pour les encourager à agir, Gerd Nagel a créé une fondation pour la compétence du patient.

Gerd Nagel : « Je suis un peu virulent sur le sujet, mais il faut le claironner partout. C’est un scandale que le système de santé ne se préoccupe pas de rendre les patients compétents. On finance tous les traitements possibles et imaginables mais en dehors de la médecine de rééducation, on ne finance pas du tout ce qui pourrait encourager la compétence des patients : ce qui les aiderait au quotidien. Or, cette forme de conseil, c’est vraiment l’avenir du système de santé. Je crois qu’à terme, ce genre de prestation finira par être remboursé par les caisses d’assurance maladie. J’en suis certain parce que notre société en a besoin. Je continuerai à me battre pour ça jusqu’à la fin de mes jours. »

La médecine de demain, se serait donc celle qui aiderait les patients à renouer avec leurs propres capacités régénératrices, un retour au savoir ancestraux qui pourrait avoir de profond effet sur le système de santé, permettre des économies et éviter la surconsommation de médicaments aux effets secondaires. Mais ce qu’il faut avant tout renforcer, c’est le dialogue entre les professionnels de santé et les patients, alors seulement, le médecin qui réside en nous pourra jouer pleinement son rôle.

Comment être acteur de son bien-être ?
Animateur du débat : « Comment faire évoluer le système de santé pour investir plus dans la prévention que dans la réparation des dommages ? »

Thierry Janssen (psychothérapeute - auteur - ex chirurgien ) : « Depuis le 17ème 18ème siècle, nous vivons dans un paradigme qui repose sur un postulat philosophique qui a placé l’être humain en dehors de la nature. On considère qu’avec notre intelligence, en comprenant bien la nature, nous allons la contrôler. On a oublié que nous faisons partie de la nature et cela est bien dommage. Du coup, nous avons développé une science analytique qui découpe tout en petits morceaux : nous considérons l’être humain comme un ensemble de petits morceaux, on ne le voit pas dans sa globalité. C’est encore plus dommage. On soigne le cœur au premier étage de l’hôpital, les poumons au 2ème étage, la psychologie au 5ème… et on a du mal, même entre médecins, à faire la synthèse de tout cela ; alors pensez, entre différentes médecines : la médecine chinoise, la médecine ayurvédique de l’inde, la chiropraxie et la médecine conventionnelle scientifique, comment se parler ? Comment trouver un langage commun ? C’est déjà la première difficulté, de parler la même langue au service du patient, et c’est cet effort là qu’il va falloir faire si nous voulons vraiment créer une médecine intégrative qui est capable de regarder toutes les dimensions de l’être humain.
Mais, notez que c’est sur ce postulat philosophique que le monde, que nous avons construit, connait les grandes crises qu’il voit arriver à l’horizon. La crise écologique vient de cette incompréhension de la globalité : on pollue à Tokyo et on ne se rend pas compte qu’il y a des répercutions à Strasbourg. On commence à dire : « Ah oui, c’est relié ! »
Évidemment que le corps est relié avec les émotions, que la pensée est relié aux émotions et au corps. Quand on va accepter de voir cela on pourra non plus réparer, et exercer cette toute puissance qu’on croit avoir, mais prévenir.
Il faut accepter de changer profondément nos modes de vie. Si on veut vraiment faire de la prévention, c’est toute notre société qui change, ce sont tous les modes de production de pollution. Sommes-nous prêts à assumer cela ? Il n’y a rien de plus difficile que de faire changer une façon de se représenter la réalité, un paradigme. Quand vous parliez de système de santé, je crois que nous devrions plutôt parler d’un système de maladie. Aujourd’hui, on ne fait pas de la santé, on répare des maladies. Le système de maladie est en bonne santé tant qu’il y a des malades. Les médecins, les thérapeutes, les infirmières, … tout le monde est contant parce qu’il y a des malades ; l’industrie pharmaceutique est contente parce qu’il y a des médicaments à proposer à ses malades ; le PIB des états, qui reflète en quelque sorte la bonne santé des états, inclus les dépenses dites de santé, que j’appelle de maladie, dans son calcul. Cela veut dire que plus il y a de malades, plus l’état est prospère, ce qui est un petit peu paradoxale ! Il y a vraiment une mutation philosophique à opérer, une autre représentation de soi et de la réalité à adopter, et cela, je ne suis pas sûr que nous en soyons capables de volonté, mais on y sera peut-être obligé par nécessité.
Dans la multi dimensionnalité et la complexité, il y a des influences qui nous échappent, comme les pollutions environnementales, et même si nous ne sommes pas coupables de ces pollutions, parfois nous avons une responsabilité de se dire : il faut que ça change. Et il faudra que l’on demande (aux dirigeants de l’état) que ça change. Nous sommes la société, ce n’est pas un phénomène en dehors de nous. Nous sommes la société, donc, il va falloir qu’on change. »

Leben Trotz (psycho-oncologue) : « Autrefois, on voyait le cancer uniquement comme une maladie du corps, on voyait les causes physiologiques, plus récemment on a commencé à intégrer les causes psychosomatiques de la maladie. Aujourd’hui, on constate que le cancer se déclare un peu partout dans le monde mais pas de la même manière. Ce qui nous fait réfléchir à l’environnement et on constate que l’environnement, le cadre dans lequel on grandit, le cadre dans lequel on vit a une influence et déclenche certains types de cancer. Donc la variable environnementale est maintenant intégrée, les conditions de vie sont maintenant intégrées dans la cancérologie. Notre expérience de psychothérapeute nous montre bien que l’influence de la psyché sur le devenir de la maladie est extraordinairement importante. Un cancer, suivi ou non par la psychothérapie, fait réfléchir énormément à sa propre vie. Les patients sont amenés à voir ce qui n’allait pas très bien dans leur vie, à se rapprocher de la nature, à élaborer une certaine spiritualité, à se concevoir faisant parti d’un ensemble, à reprendre contact avec eux-mêmes. Ils se rendent compte finalement de ce qui les a détruit. Et petit à petit, ils peuvent passer à une compréhension d’eux-mêmes beaucoup plus positive (à aller à l’essentiel), à reprendre contact avec eux-mêmes. Ce sont évidemment des changements qui ne peuvent avoir lieu que si l’on considère que le cancer est un phénomène vivant et non pas quelque chose d’isolé qui est autonome dans une partie du corps, mais bien quelque chose qui dépend de l’environnement. C’est quelque chose que l’on comprend mieux aujourd’hui. »

Relation Corps-Esprit

Corolaire du reportage, Quand l’esprit guérit le corps, les conclusions de l’entretien entre Raphael Enthoven, professeur et animateur de l’émission Philosophie diffusée sur Arte, et Julie Henry, agrégée de philosophie, apportent un éclairage précieux. L’émission a pour thème l’esprit, plus précisément la relation corps-esprit (ou âme) : problématique de l’hétérogénéité entre la substance physique (matériel) et la substance mentale (immatérielle).

On ne peut affranchir totalement l’esprit du corps, et inversement : si le corps informe l’esprit de son état, l’esprit influence réciproquement le corps.

Se pose alors une question cruciale : Comment réaliser l’union parfaite du corps et de l’esprit ? C’est-à-dire, comment ne plus perpétuer l’asservissement de l’une et l’autre des substances pour trouver le bien-être et l'harmonie ?

Julie Henry conclue le dialogue en disant : « On voit que l’idéal, c’est que l’esprit n’est plus d’ordres à donner au corps. C’est-à-dire que le corps soit spiritualisé et, en même temps, l’esprit incarné ; et que les deux soient ainsi solidaires, les deux aillent ainsi de concert. C’est peut-être là que se joue une véritable union, une véritable intrication entre les corps et l’esprit qui ne se fasse au détriment ni de l’un ni de l’autre. C’est-à-dire le développement de l’esprit et du corps, les deux ensembles. »

Spiritualisation du corps et incarnation de l’esprit simultanées : une pratique synonyme de yoga, chemin d’évolution issu de la philosophie Indienne... 

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